Rectangle à coins arrondis:

LES RIVERAINS DE LA BUTTE-AUX-CAILLES

Aimer son quartier et protéger son cadre de vie

 

Voici un petit récit qui aimerait ne rien emprunter à la réalité, dont il est pourtant et hélas-  rigoureusement inspiré.

 

Souvenons nous ! Il y a une vingtaine d’années, à la Butte aux Cailles, une réunion publique avait été organisée par un ancien maire du 13è pour débattre de la transformation du quartier en quartier piéton.

À vrai dire, le projet s’accommodait mal à la situation objective de ce quartier qui abrite de nombreux parkings de voitures. Mais ce fut surtout par crainte de voir se développer des activités sur la voie publique créant un tapage incompatible avec l’habitation tranquille qui régnait alors depuis longtemps dans le quartier, que la population s’est très majoritairement dressée contre lui.

 

Puis, le tapage est venu même sans la piétonisation à force de passivité face à l’évolution des pratiques de la presque totalité des bars (et faux restos) du quartier. On a assisté à une extension de l’emprise de l’activité commerciale bien au-delà des terrasses autorisées pour un prix dérisoire par la Ville.

 

Aujourd’hui, leur clientèle est de moins en moins à l’intérieur en soirée et nuit, de plus en plus dehors, non pas assise sur des chaines qui restent parfois vides, mais debout, sur tout le trottoir juste devant les bars, mais aussi entre les bars et encore en face.

La clientèle s’accroit, en partie par son internationalisation favorisée par des billets à prix cassés via les subventions données aux compagnies charter ici ou là, parfois par les collectivités publiques .

Les clients se distraient dans l’ignorance ou l’occultation des riverains qui voudraient pouvoir dormir, cependant que les patrons des établissements, bien conscients de la situation pour en avoir été avertis par leur voisinage, profitent et se gardent bien de contrarier leurs clients. Au voisin qui se plaint ils répondent qu’il est intolérant, qu’il ferait mieux de déménager car le bruit qu’il y a la nuit, dans ce quartier, c’est normal, certains ajoutant que ce bruit ce n’est pas du bruit mais de la culture.

Des groupes viennent squatter l’ambiance en achetant de l’alcool dans les épiceries ou mini-markets voisins.

 

Les commerçants peuvent se targuer d’être, eux, d’être laissés parfaitement tranquilles par les autorités publiques qui ont, normalement, pour mission de de veiller à la tranquillité publique. 

 

 

Cependant, un nombre significatif de riverains, rendu bien visible par l’action de notre association qui rassemble   des habitants de 36 immeubles situés dans 14 rues du quartier, osent encore aujourd'hui revendiquer leur droit à la tranquillité et un projet de quartier durable, alors qu’ils devraient sans doute aux yeux des commerçants et du Maire se contenter de fleurir leurs balcons et entretenir leurs façades au bénéfice de tous. Ils osent rappeler que la tranquillité dans leur domicile est un droit de l’Homme. Ils osent même soutenir que le droit de boire un coup ou celui de vendre des coups à boire doivent composer avec le droit de dormir car ils ont le toupet de prétendre que dormir a un rapport avec la santé (ils écrivent d’ailleurs souvent Santé pour faire référence à la Santé publique et mettre en lumière le phénomène de l’hyper-alcoolisation qui alimente le développement de la nuit parisienne).

 

Ces riverains ont tout de même obtenu que les autorités publiques, via la Préfecture, fassent respecter quelques contraintes très minimales : les établissements du quartier ne restent pas ouverts au-delà de 02H00 du matin, ne diffusent pas directement de la musique sur la voie publique (mais ne ferment pas leurs ouvertures comme ils le devraient) ne sont pas exagérément autorisés à organiser diverses attractions susceptibles de faire venir encore plus de clientèle.

 

Pour régler cet agaçant problème de leur point de vue, les commerçants qui crient à l’oppression de leur liberté d’entreprendre, savent pouvoir s’appuyer sur divers relais de lobbying (Association AMUON/Pierrots de la nuit, association Culture Bar-Bars). Depuis longtemps, ils caressent l’idée d’une chasse JURIDIQUE aux citadins trop attachés à la qualité de leur environnement et de leurs nuits. 

 

En fait, ils visent un objectif d’expropriation pour cause d’utilité festive. Mais évidemment sans pouvoir le dire.

 

Dès lors, ils se sont orientés vers le projet d’obtenir une loi qui limiterait le droit des riverains de se plaindre  des nuisances même quand les normes de leur activité professionnelle seraient bafouées.

 

Mais la réforme suppose le concours indispensable des élus. Or, les chiffres sont cruels : les nuisances sonores constituent une des préoccupations toutes premières des français, c’est un sujet sensible et médiatique, propre à orienter des votes d’électeurs. Les professionnels et leur lobbies qui peuvent révéler un esprit aiguisé à en faire mal, ont donc choisi de biaiser et de présenter la réforme comme une réforme qui ne touche qu’une toute petite partie de victimes des nuisances nocturnes.

 

La manœuvre consiste donc, avant toute chose, à bien mettre en avant qu’il ne s’agirait de priver du droit de se plaindre de nuisances provoquées par la violation des normes sur le bruit attachées à l’activité des bars et autres « que » les riverains venus s’installer (vente ou bail) après un établissement qui, à l’époque de leur installation, causait déjà des nuisances. Ainsi, la règle de l’antériorité, comme on la nomme souvent, n’agirait pas immédiatement et généralement. Mais elle agirait vite : un certain nombre de familles fuyant les quartiers en tant que candidats au zonage, les habitants déjà installés deviendront isolés et partiront d’eux-mêmes car les lobbies savent pouvoir compter sur les élus locaux pour autoriser plein de nouvelles choses (v. l’assemblée plénière du conseil de la nuit parisien 2015 / sur la position du Maire du 13è) et donc, très vite, il n’y aura plus personne pour revendiquer l’application de la réglementation professionnelle.

 

Mais il y a un obstacle de taille : le Conseil constitutionnel a précisé en 2011 (n° 2011-116, QPC, 8 avril 2011), que la protection contre les nuisances par la loi et les règlements doit rester égale pour tous : l’existence de nuisances provenant de la violation de la loi ou du règlement y préexistent ne peut pas être opposée à celui qui s’en plaint, alors même que ce dernier s’est installé postérieurement à l’auteur des nuisances. Ce qui correspond exactement à ce que défend notre association. Le Conseil constitutionnel s’est opportunément référé à la charge de l’environnement de 2004.

 

D’où un deuxième aspect de la manœuvre : ne viser « que » les riverains habitants certains quartiers définis par les autorités publiques (Maire au titre de sa politique économique menée dans une liberté stupéfiante et peut-être du Préfet, à voir pour Paris, à voir aussi selon que Mme Hidalgo gagnera ou non sa conquête des pouvoirs actuels de la Préfecture en matière de tranquillité publique).

 

Le pari des bars et leurs lobbies ainsi que des élus qui les soutiennent est de faire avaler l’idée que l’intérêt général aurait besoin de ces zones d’exception pour développer l’économie locale et plus largement l’économie française bien sûr et que, par conséquent, le sacrifice imposé aux riverains victimes des nuisances est nécessaire à cet intérêt général, qui est toujours un compromis entre des intérêts antagonistes.

 

Bien entendu, il ne fait pas de doute que cette idée est spécieuse, car elle promet le développement économique sans tenir compte du coût financier qu’inflige à la collectivité la nuit dérèglementée, de fait d’ores et déjà et pire encore si ce devait être de droit : dépenses de Santé, d’entretien des quartiers, de surveillance de la délinquance etc…. Elle révèle un mépris total des intérêts sociaux en jeu : qualité de l’environnement pour un tissu social, mixité des styles de vie dans un même quartier, encouragement à la désertification du quartier etc. Sans compter cette manie trompeuse qu’ont les lobbies de l’économie de la nuit de soutenir qu’ils n’y aurait pas d’autres bulles économiques pour nos villes et nos quartiers.

 

Mais depuis les « états généraux de la nuit parisienne » organisés en 2010, divers élus ont aidé à ce que leur projet fasse son chemin. Des parlementaires ont fait de petites tentatives. Elles ont avorté d’elles-mêmes. Mais les lobbies restent très actifs, avec l’appui de plus en plus net des pouvoirs politiques au niveau gouvernemental compris (lire), à grands renforts de financements publics (lire) et d’évaluations biaisées pour faire croire que les municipalités organisent une régulation des nuisances efficace (lire en se souvenant que les « Pierrots de la nuit » soutenus par Mme HIDALGO ont, il y a peu, établi un rapport à la police affirmant que les nuisances étaient apaisées dans notre quartier). On n’est pas à l’abri que le zonage des quartiers se niche discrètement dans une proposition ou projet de loi touffu. S’il devait être voté au Parlement le recours constitutionnel serait encore possible, mais il exposerait à une situation intermédiaire très inconfortable et dangereuse.

 

La Butte aux Cailles fait partie des quartiers qui seraient ciblés par un « zonage festif » à en croire la façon dont le Maire d’arrondissement réagit à la situation actuelle.

 

Tous ceux qui veulent continuer d’y vivre et s’y reposer sans devenir isolés au sein d’un quartier qui serait de plus en plus dédié à la location touristique ou de très courte durée, doivent donc exercer la plus grande vigilance et le faire savoir dans toutes les circonstances qui en sont données. Il faut décourager les élus, aussi bien parlementaires que maires, de soutenir un tel projet et leur demander de prendre des positions publiques qui lèvent le doute.

 

Sur les conditions dans lesquelles la Maire de Paris réclame le transfert des pleins pouvoirs de police en matière de tranquillité publique : Lire

Nos actions auprès de la Mairie du XIIIème (suite):Quand certains œuvrent pour que la loi empêche les riverains de se plaindre du vacarme sur la voie publique..